« On ne sait pas exactement d’où elles viennent… » Elles, ce sont cinq momies et une tête égyptiennes, obtenues par des savants au cours du XIXᵉ siècle dans des conditions parfois obscures et qui se trouvent aujourd’hui dans les collections de zoologie du musée d’histoire naturelle de Lille. Leur conservatrice Muriel Lecouvez a lancé des analyses approfondies pour en tirer le maximum d’informations scientifiques. Elle s’est ainsi tournée vers l’unité de taphonomie médico-légale et d’anatomie (UTMLA¹), spécialiste des processus de dégradation du cadavre, afin de nouer une collaboration pérennisée aujourd’hui par une convention (voir encadré).
« La société a changé, souligne Muriel Lecouvez. Nous ne pouvons plus nous borner à exposer des momies comme de “beaux objets”, ainsi que cela a pu se faire dans le passé. Nous avons besoin d’expliquer au public pourquoi nous, musée d’histoire naturelle, exposons les restes d’êtres humains : qu’est-ce ça nous dit, par exemple, sur l’état de santé et la vie quotidienne de populations de l’Égypte ancienne. Mais pour cela, il faut mener une enquête scientifique. »
L’étude du laboratoire s’appuie sur des scanners, réalisés il y a quelques années au centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille par le radiologue Xavier Demondion. « Dans un tel contexte, explique le Pr Valery Hédouin, directeur de l’UTMLA, il est en effet primordial d’adopter des techniques non invasives qui n’altèrent en rien les restes. »
Avec l’aide d’une étudiante et d’un étudiant en master, l’équipe a commencé à dresser le portrait-robot des momies. Les travaux de Louise Magne, ingénieure d’étude au sein de l’unité, permettent ainsi à l’anthropologue d’appliquer les méthodes de détermination du sexe sur quatre momies sur cinq. « Les techniques scanographiques actuelles permettent d’étudier en détail ces momies, explique Anne Bécart, ondontologiste à l’UTMLA, et d’explorer les tissus mous, le squelette et la dentition. » Un autre membre du laboratoire étudie les dentitions des momies, ce qui va donner des indices sur leur état de santé dentaire, mais aussi leur âge.
Les images du scanner y dévoilent aussi le travail des embaumeurs égyptiens, comme ces cordelettes tressées d’une manière originale, ou ces tuteurs chargés de procurer une certaine rigidité à la momie. Elles ont également montré dans certains cas la présence de « paquets canopes » : les anciens Égyptiens ont d’abord embaumé les viscères puis les ont réinsérées à l’intérieur du corps.
Un invité inattendu
Il y a une trentaine d’années, la radiographie de l’intérieur d’une des momies avait révélé la présence… d’un crabe ! S’agissait-il d’un ancien habitant des berges du Nil, ou d’une tout autre espèce ? Le scan en trois dimensions, de meilleure qualité que la radiographie, devrait permettre désormais aux zoologues d’identifier l’animal. Celui-ci s’était-il glissé entre les bandelettes, ou s’agissait-il d’une pratique d’embaumement peu commune ? D’après les premiers renseignements recueillis, le crabe n’était pas un animal sacré en ancienne Égypte, mais qui sait ? L’équipe va également recueillir l’avis de spécialistes des techniques de momification dans l’Égypte ancienne. En parallèle, le musée lance des datations au carbone 14 des momies, avec le concours du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).
« Au-delà de l’enquête scientifique, reprend Benoît Bertrand, anthropologue médico-légal, nos données fournissent au musée un état de dégradation à un instant t de ces momies parfois visiblement déplacées et abîmées d’après les traces que nous avons relevées. » Sans compter les perspectives ouvertes pour la valorisation des collections « On peut imaginer bien des utilisations, se projette Benoît Bertrand, comme d’imprimer en 3D une réplique du crabe et l’exposer à côté de la momie »
Au-delà des momies, une convention pour le long terme
Le laboratoire comme le musée avaient à cœur de pérenniser cette collaboration, donc d’officialiser ce partenariat par une convention-cadre. Notamment parce qu’il n’y a pas que les momies. « Des musées comme le nôtre conservent aussi des collections témoignant de croyances scientifiques d’un autre âge », indique Muriel Lecouvez, comme cette collection de près de 90 crânes accumulés par un médecin français qui ont servi de matière à des “démonstrations” de théories raciales en vogue à la fin du XIXᵉ siècle. « Nous avons besoin de savoir s’il est déontologique pour le musée de continuer à conserver cette collection. En d’autres termes si elle a un intérêt scientifique ». Cette dernière est en effet accompagnée de registres et d’autres archives détaillées, qui constituent un témoignage anthropologique précieux sur les populations de l’époque. La question se pose tout autant pour la conservation des crânes de trois anciens détenus de la prison de Loos, guillotinés pour mutinerie.
Par ailleurs, « comme le musée d’histoire naturelle dépend de la mairie de Lille, explique Muriel Lecouvez, il était logique d’étendre le partenariat à ses autres établissements comme le Palais des Beaux-Arts. » Le musée du centre de Lille détient par exemple des momies, mais aussi des reliquaires, dont il faudrait étudier le contenu, déterminer s’ils renferment des ossements, tester le caractère humain… − « dans les reliquaires, on n’est jamais sûr… », indique Benoît Bertrand.
Origine des momies : l’enquête continue
Deux des momies proviennent des fouilles de l’égyptologue Pierre Jouguet dans la région du Fayoum, vers 1902. Les trois autres, originaires de la région de Thèbes, sont arrivées beaucoup plus tôt. « Nous savons qu’elles étaient présentes dès la création du musée d’histoire naturelle en 1822, indique Muriel Lecouvez. Elles avaient été envoyées par le directeur de son équivalent marseillais, le naturaliste Polydore Roux. Seulement celui-ci n’est censé avoir voyagé en Égypte qu’en 1831… » À suivre, donc…
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- Nicolas Constans (nicolas.constans)
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- 11 décembre 2024 09:55
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